Le jeudi 21 septembre, une journée d’étude dédiée au déficit en alpha1-antitrypsine (DAAT) s’est tenue à l’université de Bordeaux. Cet événement a été organisé par Le Dr Marion Bouchecareilh, chargée de recherche au Centre National de Recherche Scientifique CNRS et a réuni des intervenants qui ont pu présenter leurs études et projets en cours. Médecins, chercheurs, laboratoires, patients et représentants des filières de santé FILFOIE et RespiFIL, soit une soixantaine de personnes avaient fait le déplacement.

Le DAAT est une maladie rare d’une prévalence de 1 sur 2500, causée par la mutation du gène SERPINA1 codant la protéine alpha1-antitrypsine (AAT). Cette protéine est secrétée principalement par le foie, dont le rôle est de maintenir la balance protéases/antiprotéases, permettant ainsi de protéger les poumons en cas d’inhalation d’irritants tels que la fumée de tabac, les polluants, les microbes, etc.

Dr Marion Bouchecareilh – DAAT

En plus des lésions pulmonaires, le DAAT provoque des altérations hépatiques. En général, les patients atteints de cette pathologie possèdent deux gènes déficients ; un gène provenant de la mère et l’autre du père. Il existe plusieurs gènes anormaux. Les plus courants sont nommés S et Z, les gènes normaux étant nommés M. Les personnes ayant un DAAT ont le plus souvent deux gènes Z (ZZ).

La majorité des patients homozygotes ZZ développent des lésions pulmonaires et hépatiques. Néanmoins, cela ne concerne pas la totalité des patients ZZ. Seulement 10 % d’entre eux développent des hépatopathies sévères, ce qui confirme l’influence de facteurs modificateurs sur la progression des lésions hépatiques. Cela souligne l’importance d’identifier ces facteurs en tant que cibles thérapeutiques ou biomarqueurs. Le Dr Bouchecareilh et son équipe se concentrent actuellement sur l’étude des voies de dégradation associées au mutant Z ainsi que sur la caractérisation de nouveaux variants.

Le Dr Audrey Payancé (hépatologue, Hôpital Beaujon) souligne que le DAAT est probablement sous diagnostiqué et reste difficile à repérer. En effet, entre 20 à 35 % des patients atteints de ce déficit développent des fibroses nécessitant un suivi hépatique. Parmi eux, environ 10 à 15 % seront transplantés.

Dr Audrey Payancé – Histoire naturelle du DAAT

Comme mentionné ci-dessus, l’accumulation d’agrégats de protéines non dégradées altère les cellules hépatiques, entraînant ainsi des lésions pouvant évoluer vers la fibrose, puis la cirrhose. Le dépistage, la prévention et le traitement de la fibrose sont effectués au stade modéré F2.

En France, 8000 profils PIZZ et 100 000 PISZ sont recensés. Ils présentent un risque de développer des fibroses, en plus des autres facteurs de risque tels que le diabète, l’obésité, le syndrome métabolique, le sexe mâle, et un âge ≥ 50 ans.

Un taux élevé de transaminases peut être indicatif et contribuer au dépistage de la fibrose.

Concernant le diagnostic, parmi les nombreux tests disponibles, on retrouve le FIB-4 (test sanguin), le Fibroscan (test physique) et l’élastoIRM. La ponction-biopsie est également envisageable dans le cas d’un bilan de pré-transplantation pulmonaire, en cas de doute sur une maladie hépatique avancée et/ou chez un patient ayant des comorbidités ou une autre maladie hépatique chronique associée.

Une fois le risque identifié, il est recommandé, dans un souci de prévention, d’éliminer les cofacteurs tels que l’alcool, le syndrome métabolique et l’hépatite virale. Le suivi est ensuite adapté en fonction de la sévérité de la fibrose et des facteurs de risque.

La cohorte nationale DEPHI-ALPHA a permis de décrire l’atteinte hépatique chez deux tiers de patients atteints de DAAT.

Résultats de la cohorte DEFI-ALPHA

L’un des axes de travail porte sur l’atteinte hépatique chez l’enfant, mettant en avant l’importance du dépistage de la cholestase néonatale, car elle entraine une déficience dans l’absorption des vitamines, voire des carences responsables d’hémorragies, d’où la nécessité d’instaurer un traitement adéquat. De plus, ce dépistage permet d’établir un diagnostic différentiel avec l’atrésie des voies biliaires, condition nécessitant une intervention chirurgicale.

La transition vers le suivi médical adulte est un sujet crucial chez les pédiatres rapporte le Dr Mathis Ruiz (hépato-pédiatre, Lyon). “Il est primordial d’accompagner les jeunes patients dans leur parcours médical, en mettant l’accent sur la préparation, la prévention et les consultations conjointes, jusqu’à la prise en charge au sein d’un centre dédié adulte“.

Dr Mathias Ruiz – Schéma sur la transition enfant/adulte dans le DAAT

Les indications pour la recherche d’un DAAT selon les recommandations du groupe européen d’experts ALPHA-1 sont les suivantes : chez les patients présentant un emphysème, ou une BPCO, et chez la famille d’une personne atteinte de cette pathologie.

La stratégie de diagnostic biologique repose sur le dosage sérique par immunoturbidimétrie ou immunonéphélémétrie. Si la valeur est inférieure à 1,1 g/L, le typage du variant fréquent est effectué (soit par isoéléctrofocalisation soit par génotypage ciblé). En cas de discordance entre le dosage et le typage, il faut procéder au séquençage complet du gène SERPINA1.

Quant au dépistage anatomopathologique, il présente des défis particuliers du fait que les globules A1AT peuvent être difficiles à visualiser et/ou masqués par d’autres lésions. Il est donc pertinent d’utiliser d’autres méthodes telles que la coloration PAS (Periodic acid-Schiff) et l’IHC (immunohistochimie) souligne le Pr Brigitte Le Bail (anatomie-pathologiste, Bordeaux).

Dr Louis Lebreton – Points essentiels à retenir

Le Pr Philippe Reix (pneumo-pédiatre, centre de référence constitutif des maladies respiratoires rares – RespiRare, Lyon) évoque les limites du VEMS qui constitue un bon indicateur de l’atteinte respiratoire, mais qui s’avère être un marqueur peu fiable pour la détection d’emphysème. C’est pourquoi la mesure de l’index de clairance pulmonaire ICP/LCI est préférable car il augmente en présence d’anomalies des voies aériennes et permet aussi de définir la zone où les anomalies sont présentes, appelée « zone silencieuse ».

Pr Philippe Reix – Représentation de la “zone silencieuse”

Le Dr Maeva Zysman accompagnée du Pr Jean-François Mornex (pneumologues au centre de compétence des maladies pulmonaires rares – OrphaLung, Bordeaux et centre de référence coordonnateur des maladies pulmonaires rares – OrphaLung, Lyon) met en avant l’importance des cohortes comme la cohorte EARCO (European Alpha-1 Research Collaboration) qui a été lancée en France cet été 2023.  Elle vise à favoriser le diagnostic précoce du DAAT et accélérer la recherche et le développement de nouveaux traitements.

Elle aborde notamment les recommandations de la SPLF sur le DAAT et développe le sujet du « traitement substitutif ». Selon les recommandations suivantes :

  • Il est indiqué chez des homozygotes ZZ de moins de 70 ans avec VEMS compris entre 35 et 70 %.
  • Il est contre-indiqué en l’absence d’emphysème.
  • Ne pas prescrire le traitement substitutif aux hétérozygotes MZ.
  • L’indication au traitement doit être validée en RCP nationale DAAT.

L’étude « RAPID », qui a inclus 180 patients et au cours de laquelle le traitement substitutif a été administré à une dose de 60mg/kg pendant 24 mois, a démontré une réduction de 34 % de la perte de densité pulmonaire dans le groupe traité. Il est à noter que la densité pulmonaire est étroitement liée à la qualité de vie et à la mortalité.

Dr Maeva Zysman – Résultats de l’étude RAPID

En conclusion…

Cette journée d’échange a été particulièrement enrichissante grâce aux diverses informations et perspectives partagées par les hépatologues, pneumologues, pédiatres ainsi que d’autres spécialistes présents. Les tables rondes ont également favorisé les débats et ont permis d’apporter des réponses aux questions de chacun.

De nombreuses études et projets en cours ont été présentés et la filière les relayera dès que les résultats seront rendus publiques par voie de publications scientifiques.

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