Le 2 avril dernier, les membres de l’association « Vaincre la Papillomatose Respiratoire Récurrente, PRR » se sont rassemblés en présentiel et par web-conférence pour un moment privilégié, celui de l’assemblée générale 2022. Au programme de cette rencontre, la présentation du bilan de l’année 2021, les projets et grands enjeux à venir par Eloïse Baillot, Présidente, et Colette Petit Le Bâcle, Vice-Présidente, ainsi que l’intervention très attendue des experts : le Pr Jacques Cadranel, chef de service de pneumologie, coordonnateur du centre de référence constitutif des maladies pulmonaires rares – OrphaLung (hôpital Tenon, AP-HP), et le Pr Nicolas Leboulanger, chirurgien ORL pédiatrique et coordonnateur de la filière TeteCou (hôpital Necker-Enfants Malades, AP-HP) sur les actualités dans la PRR.
Une année 2021 riche malgré le contexte
Eloïse Baillot – Présidente et Colette Petit Le Bâcle – Vice-Présidente, ont mis en exergue les cinq champs d’action de vaincre PRR et les démarches menées :
- L’écoute et le soutien : grâce au soutien financier de la filière TeteCou, deux membres du bureau de l’association ont été formés à l’éducation thérapeutique du patient, et parent expert, afin d’accompagner davantage les patients et les aidants dans les démarches médicales ou médico-sociales ;
- La collecte et la diffusion de l’information, sur le site web, les réseaux sociaux, la newsletter, et la participation à des colloques (RARE 2021, fondation maladies rares, etc.) et à des formations courtes (diagnostic des infections à papillomavirus, etc.) ;
- Le lien avec les associations étrangères, notamment avec la fondation américaine PRR (The Recurrent Respiratory Papillomatosis Foundation), lauréate de l’appel à projet « Rare as One » de la Fondation Chan Zuckerberg Initiative (organisation qui vise à soutenir les associations de patients qui s’efforcent d’améliorer la vie des personnes touchées par une maladie rare) ;
- L’information du grand public, parce que s’informer est déjà une manière d’agir. Vaincre PRR est portée par la volonté de mettre à disposition du public une information fiable au sujet de cette maladie. L’objectif est de sensibiliser le public et soutenir les personnes touchées et leur entourage. Ainsi, à l’occasion du Téléthon 2021 et de la Marche des Maladies Rares, Colette Petit Le Bâcle a su saisir l’opportunité d’intervenir, aux côtés du Pr Van Den Abbeele (ORL pédiatrique, hôpital Robert Debré, AP-HP) sur France Info TV, afin de mettre la lumière sur cette maladie rare. En lien avec RespiFIL, Colette Petit Le Bâcle a également partagé son espoir de recherches innovantes dans la PRR, grâce à l’obtention par l’association américaine homologue d’une subvention « Rare as One ».
- La contribution à l’effort de recherche médicale notamment à travers le soutien et la participation à l’étude Papilloma Lung (Pr Cadranel) et à l’amélioration des pratiques de soins avec l’objectif de fédérer l’ensemble des professionnels de santé, et en collaborant étroitement avec les filières partenaires TeteCou et RespiFIL.
De nouveaux défis pour 2022
L’Assemblée Générale a également été l’occasion pour vaincre PRR de dresser la feuille de route des prochains mois : être partenaire de l’étude Papilloma Lung, participation à la rédaction du protocole national de diagnostic et de soins (PNDS) de la PRR, organisation d’une journée de rencontre et d’échanges « Famille et Patients », avec l’équipe de l’association américaine sur le programme Rare as One, et poursuivre le renouvellement des outils de communications de Vaincre PRR.
Papilloma Lung : étude de cohorte nationale des atteintes respiratoires basses de la PRR observées à l’âge adulte
Arrivé à l’hôpital Tenon (AP-HP) dans les années 1990 et animé par le désir de comprendre les mécanismes d’interaction entre le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et l’hôte, le Pr Jacques Cadranel (immunologiste et pneumologue de formation) s’intéresse particulièrement à l’immuno-infectiologie et à l’oncologie. L’essor de l’immunothérapie représente actuellement une avancée majeure dans le traitement de certains cancers, en forçant les défenses immunitaires à détruire les cellules cancéreuses. Dans cette approche, les anticorps bloquent le mécanisme qui permet aux cellules cancéreuses de désarmer les cellules de l’immunité. Ainsi ces dernières sont de nouveau efficaces dans leur combat contre la tumeur.
« Récemment certaines études ont démontré que l’immunothérapie pourrait permettre de contrôler certaines infections chroniques telles que la leuco-encéphalopathie multifocale progressive (LEMP) une maladie rare du cerveau, causée par un virus appelé « JC ». L’idée serait de manipuler l’immunité pour la forcer à attaquer le virus » rapporte le spécialiste.
Papilloma Lung : quel est son objectif ?
L’objectif de l’étude Papilloma Lung est de décrire une cohorte rétrospective[1] de patients adultes présentant une atteinte trachéale, bronchique ou pulmonaire de la PRR. Cette étude est portée par le centre de référence constitutif des maladies pulmonaire rares – OrphaLung (hôpital Tenon, AP-HP), coordonné par le Pr Jacques Cadranel. Elle est menée en collaboration avec le Dr Romy Ratsihorimanana (DES en pneumologie), le Dr Thomas Maitre, pneumologue spécialiste en infectiologie et le Dr Juliette Camuset, pneumologue spécialiste dans la chirurgie thoracique.
Depuis janvier 2021, un appel à identification de cas (personnes âgées de 18 ans et plus présentant des manifestations respiratoires basses du PRR) a été adressé auprès des professionnels membres du réseau OrphaLung, du groupe d’endoscopie thoracique et interventionnel francophone (GETIF) de la société de pneumologie de langue française (SPLF) et des membres de l’association « Vaincre PRR ».
[1] Une étude rétrospective s’intéresse à la recherche de liens entre un état de santé présent et un événement antérieur. Elle se base sur l’acquisition de données présentes dans les dossiers médicaux des personnes ciblées ou dans un registre de données au moment de l’étude.
Papilloma Lung : données préliminaires
Au 15 mars 2022, le nombre de personnes incluses s’élevait à 48 : 15 ont une PRR juvénile (maladie ayant débutée avant 18 – 20 ans) et 33 une PRR adulte (maladie ayant débutée entre 40 et 60 ans). Chez les juvéniles, un seul patient à une atteinte trachéo-bronchique-pulmonaire (T-B-P), sans une atteinte ORL ou trachéo-bronchique (T-B) au préalable. Dans cette population de prédominance féminine (67 %), près d’une personne sur deux fume (un chiffre très élevé comparativement à celui de la population générale). Chez les adultes, la moitié ont seulement une atteinte trachéo-bronchique (T-B = 16) et très peu pulmonaire (T-B-P =1). A noter, que près de 70 % de cette population fume (voir figure ci-dessous).
PRR, causes et chiffres
Le papillomavirus humain (HPV, pour Human Papilloma Virus) est un virus très largement répandu dans la population ; il en existe près de 200 types qui se différencient par leur composition génétique et qui n’entrainent pas tous les mêmes maladies.
A ce jour, il n’existe pas de système de culture simple, ni d’examen sérologique (par une prise de sang) pour affirmer le diagnostic d’une affection virale à HPV ; le diagnostic direct repose donc sur la détection du génome viral par des méthodes de biologie moléculaire (telle que la PCR).
Pour la papillomatose respiratoire récurrente (PRR), maladie respiratoire rare, deux types de HPV sont principalement mis en cause : les HPV6 et HPV11, à bas risque cancérogène. Ils sont à l’origine de verrues génitales appelées condylomes.
La PRR est caractérisée par le développement de tumeurs bénignes (non cancéreuses) appelées papillomes (petites masses de tissu mou ressemblant à de petits choux fleurs) dans les voies aériennes. Les papillomes peuvent se former dans le larynx (l’organe abritant les cordes vocales), appelés papillomatose laryngée, et pouvant s’étendre à tous le tractus respiratoire (trachée, poumon). Très peu d’études sont consacrées à la PRR chez l’adulte et à l’atteinte pulmonaire.
« La PRR est une maladie viro-induite. En prévention, la vaccination contre l’HPV chez les enfants avant leur puberté permet de réduire notamment la survenue du cancer (col de l’utérus, pénis, anus) et de la PRR » explique le Pr Cadranel.
En France, le taux d’incidence (nombre de nouveaux cas par an) ou de prévalence (nombre de cas existants) de la PRR n’est pas connu. Le Pr Cadranel estime que la PRR juvénile peut concerner > 150 à 450 cas/an et la PRR de l’adulte chez > 450 à 1200 cas/an (voir figure ci-dessous).
PRR et facteurs de risque
La transmission du virus HPV est inter-humaine stricte au début de la vie sexuelle avec la possibilité d’un portage chronique asymptomatique. En effet, 90 % des HPV sont éliminés par le système immunitaire, jusqu’à 2 ans après l’infection.
L’ADN du HPV est détecté chez jusqu’à 80 % des nouveau-nés nés de mères atteintes d’un HPV génital. Cependant, seuls 0,7 % des nourrissons exposés aux verrues génitales maternelles développent la maladie. Chez l’enfant, la transmission se produit probablement au moment de la conception (à la formation de l’œuf), pendant la grossesse (à travers le placenta) ou pendant l’accouchement quand le nouveau-né traverse les voies génitales infectées. Parmi les autres facteurs de risque de transmission : le jeune âge de la mère, la première grossesse, la durée du travail, etc. Le rôle préventif (ou pas) de la césarienne n’est pas connu. Il n’y a pas de sur-risque pour les parents atteints d’une PRR à leur jeune âge, de transmettre la maladie à leurs enfants.
Chez l’adulte, la transmission peut être horizontale (c’est-à-dire entre deux personnes). Les facteurs de risques ne sont pas clairement identifiés. Cela indique la nécessité d’études supplémentaires pour comprendre les différents aspects de la PRR, y compris ses facteurs étiologiques, son développement et ses complications, conduisant à l’identification des meilleures stratégies thérapeutiques.
PRR et réponse immunitaire
Un faible pourcentage de nourrissons développe la PRR malgré leur contamination par le virus HPV porté par leur mère. Cela suggère l’existence d’autres facteurs, notamment immunologiques, impliqués dans le développement de cette maladie. L’entrée du virus dans les cellules de l’hôte se fait probablement grâce au récepteur EGFR (Epidermal Growth Factor Receptor).
Plusieurs études ont rapporté des interactions entre les protéines virales du HPV (E6 et E7) avec le système immunitaire de l’hôte ; ces protéines inhibent l’activation des cellules kératinocytes humaines cibles et la transcription des cytokines inflammatoires en dérégulant la cascade de signalisation antiviraleprovoquant ainsi un déséquilibre de la réponse immunitaire.
PRR, atteintes respiratoires basses
L’appareil respiratoire est extrêmement complexe. L’air inspiré par le nez ou la bouche circule vers les poumons à travers les voies respiratoires : la trachée, les bronches, les bronchioles jusqu’aux alvéoles pulmonaires. C’est à leur niveau que s’effectuent les échanges des gaz entre l’air et le sang.
Très peu de données existent concernant l’atteinte pulmonaire par les papillomes (études rétrospectives avec petit échantillon de malades, rapports de cas, possibles biais). Une revue de littérature a rapporté l’incidence de l’atteinte trachéo-bronchique et pulmonaire dans la PRR à 3,3 %. En effet, sur les 1666 PRR juvéniles, 55 patients ont développé une atteinte pulmonaire. La gravité de la maladie était associée à un âge de diagnostic plus jeune et au HPV 11. L’étude récente de Amiling et al. (USA) a rapporté le même constat, en analysant les données de 215 enfants atteints de PRR. De surcroît, l’étude récente de Yang et al. a démontré que sur les 192 PRR juvéniles, 17 patients (8,9 %) avaient un papillome au niveau bronchique et pulmonaire en moyenne 7,0 [4,0 – 12,5] ans après le début de la maladie. Aussi, comparativement aux patients sans atteinte pulmonaire, les patients avec une atteinte pulmonaire avaient un âge d’apparition de la maladie plus jeune, et une fréquence plus élevée d’interventions chirurgicales
L’étude de Soldatski et al. a également rapporté que l’extension des papillomes jusqu’aux voies respiratoires basses a été observée chez 40 sur 448 enfants atteints de PRR juvéniles (8,9 %). Parmi ces derniers, 32 (7,1 %) ont présenté une atteinte trachéo-bronchique et 8 (1,7 %) une atteinte pulmonaire. « Ainsi, il semblerait que l’atteinte pulmonaire concerne 2 à 4 % de patients PRR ».
En comparant 24 papillomatoses juvéniles versus 48 papillomatoses adultes, une étude rapporte que l’atteinte pulmonaire était plus fréquente chez les enfants que chez les adultes, tout comme le nombre annuel d’endoscopies.
Selon le Pr Cadranel « les modalités de surveillance de la survenue de papillomes dans les voies respiratoires basses chez les patients PRR (examens, fréquence, etc.) ne sont pas formalisées à ce jour. Ainsi, des études sont nécessaires pour les mettre au point ».
PRR et principes thérapeutiques
« Le traitement local de l’atteinte trachéo-bronchique (et non pulmonaire) consiste principalement à retirer les lésions proximales obstructives (exérèse mécanique) qui gênent la respiration et pas forcément toutes les petites lésions, possiblement pour ne pas disséminer les papillomes, plus bas » rapporte le Dr Juliette Camuset.
Selon le Pr Cadranel, le traitement de la PRR trachéo-bronchique et pulmonaire doit être multidisciplinaire associant un traitement local et systémique (par médicament) puisque l’exérèse mécanique totale des papillomes n’est pas possible. En effet, l’objectif du traitement est d’éviter les récidives et la progression de la maladie. Les thérapies adjuvantes comprennent l’utilisation de l’interféron, des thérapeutiques antivirales (Acyclovir, Cidofovir, Ribavirine), les antiangiogéniques (Bevacizumab, un anticorps monoclonal contre le facteur de croissance de l’endothélium vasculaire (VEGF)) ou encore un traitement immunologique (vaccin contre l’HPV). Des études cliniques randomisées multicentriques sont nécessaires pour déterminer le traitement le plus adapté.
Selon les travaux de Chadha N et al. (Revue Cochrane), il n’y a pas suffisamment de preuves pour étayer l’efficacité des agents antiviraux en tant que traitement adjuvant dans la prise en charge de la PRR chez les enfants ou les adultes. L’essai contrôlé randomisé inclus n’avait mis en évidence aucun avantage du cidofovir intralésionnel sur le placebo au bout de 12 mois. Toutefois, l’étude était limitée par ses petits effectifs et par le changement de la concentration du cidofovir au milieu de l’essai.
Une revue systématique et une méta-analyse (5 études, N = 59 patients) a analysé l’effet thérapeutique du vaccin contre l’HPV (Gardasil) qui a démontré que le nombre d’interventions chirurgicales par mois a été significativement réduit après la vaccination contre le HPV chez les malades. Cependant, la durée de protection et la sérologie (taux d’anticorps) n’ont pas été précisées.
Concernant le Bevacizumab (Avastin), une revue systématique a évalué l’utilisation, l’efficacité et l’innocuité de ce traitement chez 20 PRR juvéniles (dont l’âge au diagnostic varie entre 4 mois et 6 ans). Ces derniers avaient subi de multiples interventions chirurgicales (une toute les 3 à 6 semaines) et plus de la moitié avaient une atteinte au niveau de la trachée (N=13) et des poumons (N=14). Une amélioration marquée de la PRR juvénile a été rapportée avec ce médicament, puisque tous les patients ont présenté une réduction cliniquement significative de la maladie avec un besoin réduit du nombre de chirurgie. 4 patients ont présenté des événements indésirables légers ou modérés. Malgré cette efficacité, de nombreuses questions subsistent notamment sur les schémas d’administration(continu ou discontinu)ainsi que sa durée d’administration. Un essai clinique pourrait améliorer la compréhension de son innocuité et de son efficacité pour cette indication.
Par ailleurs, l’Avelumab (Bavencio), un autre anticorps monoclonal anti-PD-L1, a été testé chez des 12 patients PRR dans une étude clinique de phase 2. L’âge médian était de 51 ans (intervalle de 21 à 67 ans). 4 patients avaient une PRR d’apparition juvénile et 8 avaient une PRR d’apparition adulte. Tous les patients atteints de PRR laryngée ont présenté une amélioration clinique de la maladie. Toutefois, aucun des 4 patients atteints de PRR pulmonaire n’a répondu au traitement. Ainsi, en démontrant son innocuité et son activité clinique chez les patients atteints de RRP laryngée, une étude plus approfondie de l’Avelumab dans la PRR, éventuellement avec une durée de traitement plus longue ou en association avec d’autres immunothérapies visant à activer l’immunité antivirale, est justifiée.